PARIS - 28 mars 1984. L’ Institut d’art et d’archéologie, extravagante bâtisse née de
l’imagination enfiévrée de Viollet-le-Duc, avec ses colonnes en
brique et ses créneaux « mauresques » recevait la réunion mensuelle
de la Société préhistorique française. Cette réunion était consacrée
aux découvertes faites par les spéléologues en grotte profondes et,
au-delà, au délicat problème des relations entre spéléos et archéos.
En présence de Jean Clottes (Préhistorien de renommée
internationale) , de Michel Decobert ( Président de la Fédération
Française de Spéléologie), de
plusieurs spéléologues découvreurs de
sites, Jean Paul Calvet avait fait une intervention pour présenter
le site de Roquemaure.
Si parfois, les spéléologues n’ont pas toujours pris les précautions
indispensables pour signaler et respecter les sites souterrains,
Jean Clottes et Jean Pierre Giraud (Peuplement et vie quotidienne
depuis 100 000 ans - 10
ans d’archéologie tarnaise)
avaient signalé l’excellente prise en charge du site de
Roquemaure par les spéléologues et archéologues
locaux de la Société de Recherches Spéléo Archéologiques du
Sorèzois et du Revèlois :
« les spéléologues ne touchèrent à rien se contentant de prendre des
photographies, et nous prévinrent aussitôt, ce qui mérite d’être
souligné. Ils gardèrent le silence sur leur découverte et essayèrent
de trouver l’entrée principale de la caverne afin de permettre
l’accès au site pour les archéologues de la DRAP.
L’ INTERET ARCHEOLOGIQUE DE LA GROTTE EST INDENIABLE, DE PLUS UN
AUTRE
INTERET EST PRESENT, CELUI DE LA BEAUTE DES LIEUX.
En 1952, sur la commune de St Amancet au lieu dit « le Prat dal
Poul », les spéléologues de la Société de Recherches Spéléo
Archéologiques du Sorèzois et du Revélois (les frères VIALA)
découvraient l’aven VIALA.Il s’agissait d’un gouffre à profil vertical(succession de puits verticaux) qui descendait à 130 m sous
terre.
Après de nombreuses années d’exploration, ce n’est que le 17
septembre 1981, qu’un collectif de spéléologues de Blagnac et de
Revel - Soréze réussissait à forcer une série d’étroitures(17 cm de hauteur !) situées au bas du gouffre.
Un courant d’air fort prometteur, avait été l’élément déterminantpour la mise en place de ces travaux.
17 SEPTEMBRE 1981, LES SPELEOLOGUES DECOUVRENT DES VESTIGES
ARCHEOLOGIQUES SUR LE SOL DE LA CAVITE.
PROGRAMMATION DE FOUILLES DE SAUVETAGE
PAR LE SERVICE REGIONAL DE L’ ARCHEOLOGIE (à l’époque Direction
Régionale des Antiquités Préhistoriques).
Cette découverte permettait de pénétrer dans une vaste galerie
horizontale de plus de 130 m de longueur, témoin d’un ancien niveau
d’écoulement souterrain des eaux.
Ils observaient la présence de sépultures, de mobilier archéologique
sur le sol.
La Direction Régionale des Affaires Culturelles fut
immédiatement prévenue (Service Régional de l’Archéologie à
l’époque D.R.A.P « Direction Régionale des Antiquités
Préhistoriques »).
Evidemment, les spéléologues
laissèrent intact les vestiges.
La recherche immédiate de l’accès naturel pratiqué à l’époque des
inhumations fut immédiatement effectuée (les hommes n’ayant pu
accéder techniquement par le gouffre Viala).
L’entrée fut repérée vers le nord dans le fond de la galerie. Celle
ci avait été obstruée intentionnellement à l’époque
par de gros blocs.
Le 25 avril 1982, après un positionnement topographique difficile et
délicat en surface, une opération de dégagement de l’entrée
naturelle sur le versant fut effectuée par l’extérieur.
L’entrée était obturée par un énorme éboulis de versant, une journée
entière fut nécessaire pour la dégager (plus de trente
spéléologues).
Le lendemain de l’ouverture de la grotte, les archéologues du
Service Régional de l’Archéologie
se déplacèrent immédiatement et établirent un premier rapport
scientifique.
Elle est située sur le tiers moyen du versant rive gauche du
ruisseau des Avaris dans la vallée de Saint Amancet, face à la
carrière de calcaire.
La cavité est constituée d’une seule et unique galerie de 130 m de
longueur au tracé « en
baïonnette ». L’accès se fait à flanc de versant, on pénètre
immédiatement dans une grande salle concrétionnée de 25 m de
longueur pour 7 à 8 m environ de largeur et une hauteur de plafond
de 5 à 6 m. Un rétrécissement donne accès à un conduit plus étroit
(2,50 m de largeur) qui se prolonge sur
40 m environ, lui succède un conduit plus spacieux. Le fond
de la galerie permet par une chatière (étroiture) très exiguë
de pénétrer dans l’aven (gouffre) VIALA.
Rq83VIB99: site de Roquemaure – fouille de 1983 – zone VI –
carré B99.
C1 –
concrétionnèrent naturel du plancher de la grotte
C2 a – alluvionnement naturel après le passage des « véraziens »
C3 – zone de foyer anthropique
C4 – couche archéologique
C5 – sédimentation naturelle avant le passage des « véraziens »
La fouille eut lieu en 4 périodes distinctes (mai et décembre 1982
et mai et juin 1983). Sept zones furent « sondées » et étudiéespar une équipe pluridisciplinaire de spécialistes
(anthropologues, pré et protohistoriens, palynologues, céramologues,anthracologues, etc..). Les spéléologues furent associés
étroitement à ces travaux. Une trentaine de personnes participèrentà l’exploitation scientifique du site.
Plus
de 8 sépultures ont été identifiées, mais il pourrait y en avoir
d’autres, car la plupart des ossements ont été déplacés
et peut être enfouis dans la sédimentation de la grotte.
La sépulture n°1 reposait à l’extrémité méridionale d’un gour
concrétionné. Lors de la découverte du site, plusieurs pièces
osseuses étaient d’emblée reconnaissables malgré le fort
concrétionnèrent qui recouvrait les os : plusieurs vertèbres, une
scapula plaquée contre la paroi rocheuse, et le squelette
céphalique. Quelques reliefs à la surface du sol signalaient la
présence du reste du squelette.
Le squelette n’était pas en connexion anatomique totale, en effet
les parties les plus importantes
ont subi un déplacement important (humérus, fémurs, tibias,
coxaux et certaines vertèbres). Ce déplacement est certainement du à
des écoulements d’eau importants qui ont du affecter la grotte.
Paradoxalement certains os plus labiles
n’ont pas été déplacés, démontrant ainsi que nous sommes sur
une sépulture primaire.
La position des os semble indiquer que les membres étaient fléchis,
le corps reposant sur le côté droit et les mains ramenées en avant
de la face, le dos plaqué contre la paroi.
Des
charbons de bois ont été relevés autour de la sépulture ainsi que
des tessons de poterie et quelques os d’animaux. Une perle
discoïdale en roche brune
est certainement liée à la sépulture. Il s’agit certainement
d’un adulte jeune, le sexe n’a pu être déterminé par manque des os
du bassin.
A 7 m du squelette n°1 divers os humains ont été récoltés sous 2 à 3
cm d’argile, vers le milieu de la galerie. En poursuivant le
conduit, 2 crânes -
zone 3 (n°3 et 4)
étaient présents dans une
fissure située au bord de la paroi gauche, ils ont
certainement roulé jusqu’en cet endroit. Un cinquième crâne (crâne
d’enfant entièrement recouvert de
calcite) était
coincé entre la paroi gauche et des blocs rocheux dans une
anfractuosité. Le crâne ici aussi a roulé depuis un des gours les
plus élevés.
Photo n°2 :
sépulture située dans le couloir
qui succède à la salle
d’entrée.
Un sixième crâne est présent et émerge d’une
épaisse couche de calcite (le reste du corps est décelable sous la pellicule
calcitique).
Tout au fond de la salle, un squelette de femme
relativement âgée, ornée de 89 perles, reposait sur un niveau de calcite qui
recouvrait un niveau charbonneux.
La
céramique
La céramique est abondante (23 vases)
et typique du VERAZIEN *. Elle est présente dans toute la
grotte. Les surfaces sont lissées, la teinte varie du beige clair au
noir avec de très rares tessons de teinte rouge. Le dégraissant est
constitué de grains de calcite petits à moyens (0,5 à 1,5 mm).
Les formes sont variées : bols légèrement évasés ou profonds et
coniques, hémisphériques, vases globuleux à col légèrement redressé,
d’autres à carène haute et col redressé, jattes ouvertes, des
écuelles à carène haute et paroi rentrante concave portant parfois
une préhension plus ou moins allongée sur la carène. On note aussi
un vase à profil en « S »
et un autre cylindre haut.
Les préhensions sont représentées par des boutons ronds, des
languettes horizontales et des boutons à perforation horizontale ou
verticale.
La parure se compose de : 1 épingle à palette en os de 6 cm de
longueur, 1 pendeloque en pierre perforée (calcaire), 15 dentales,
une centaine de perles discoïdes sur la sépulture du secteur VII (58
en calcite, 51 en stéatite), une perle tubulaire en céramique, 2
perles tubulaires en roche verte (dont une à section carrée).
Le
mobilier en pierre
Le mobilier lithique comprend un fragment de hache polie en roche
verte, une grande lame de silex, 3 scies à encoches en silex, une
pointe de flèche pédonculée et ailerons en silex, 8 éclats de silex
non retouchés et un
« grignoté » sur le bord, 1 grattoir sur éclat triangulaire à
retouche bifaciale
sur un bord.
PREMIERE PERIODE- par l’établissement d’un habitat de courte durée avec foyer et
abandon de faune, de mobilier lithique et de céramiques. Cet habitat est
antérieur ou contemporain des dépôts sépulcraux. Il a été remanié et
ses vestiges dispersés par le ruisseau souterrain.
DEUXIEME PERIODE- le dépôt de sépultures est ensuite effectué notamment dans la partie haute
de la salle avec dépôts (votifs) de matériel divers (mobilier lithique –
céramiques …).
Au
Chalcolithique, la grotte de Roquemaure a été utilisée comme cavité
sépulcrale. Les corps n’ont pas été inhumés mais déposés dans des gours
Des feux ont été allumés à cette occasion.
De forts écoulements d’eau ont remanié les cadavres et transporté du
mobilier archéologique.
Divers habitats ont été établis en plusieurs points de la grotte avec un
important habitat « VERAZIEN » dans la salle près de
l’entrée (qui a été semble-t-il
obturée intentionnellement par les Véraziens eux mêmes).
Des séjours occasionnels (peut être lors des inhumations) ont été effectués
au fond de la grotte.
Malgré l’érosion due aux ruissellements
d’eau, une zone protégée a permis de relever l’empreinte de deux
talons imprimée dans le sédiment.
L’érosion
importante et le ruissellement des eaux souterraines ont souvent
déplacé les vestiges.
Sur la photo ci
dessous, un corps a glissé vers le bas, il était disposé à l’origine
sur la banquette rocheuse. Un collier de plus de 80 perles a été
relevé… Un énorme travail de fourmi dans la boue !
Depuis son apparition l'homme a du affronter d'importantes variations climatiques notamment les quatre grandes glaciations (GUNZ-MINDEL-RISS-WURM).
Grace à son adaptation au milieu et surtout à son intelligence, il a pu affronter et ainsi survivre à ces périodes difficiles. A la fin de la dernière glaciation ( le maximum de froid se situant à -19000 ans) se met en place un climat plus tempéré (vers -10000ans) avec l'apparition de nouvelles espèces animales et végétales.
La néolithisation va pouvoir se mettre en place. Une terminologie spécifique va préciser les diverses périodes climatiques.
DRYAS 1 (-15000)
PRE BOLUNG (-14000)
DRYAS 2 (-13000 - 12000)
ALLEROD
DRYAS 3 (-12000 à -10000)
PREBOREAL (-10000 à -9000)
BOREAL (-90000 à -7500)
ATLANTIQUE (-7500 à -4500)
Et la période climatique qui intéresse directement notre site le
La végétation ainsi mise en évidence
dans cette zone de la Montagne Noire au CHALCOLITHIQUE –
BRONZE ANCIEN à travers l’analyse anthracologique
reflète un climat humide et frais.
Cela est en parfaite concordance avec les études depaléoclimatologie effectuées sur d’autres sites
similairesou avec
les connaissances générales de l’évolution du climat à l’échellede l’Europe occidentale.
L’exposition de l’entrée naturelle de la cavité (versant nord
et en altitude dans une vallée encaissée) explique aussi ce
résultat.
La présence importante de l’ IF (Taxus baccata – plus du
tiers de la collection) est traditionnelle du «sub boréal *» et
elle indique une évolution vers un climat frais et humide en
relation avec un étagement montagnard humide. La présence de
frênes, ormes et noisetiers corroborent cette affirmation.
Les restes végétaux fournissent des informations fondamentales
sur l’histoire des paléo-climats .
L’analyse anthracologique permet de connaître directement la
flore et les végétations qui environnaient l’homme : on peut
étudier en détail ainsi, outre l’évolution du milieu végétal et
des climats, les pratiques qui ont conduit avec diverses
modalités aux paysages actuels.
Encore faut-il pouvoir découvrir des témoignages fossiles
conservés.
Les bois brûlés, les
pollens peuvent se conserver très longtemps. Des spécialistes en
carpologie, palynologie, dendrochronologie… permettrontd’avoir des résultats fort intéressants.
Essentiellement centré sur le bassin de l’Aude, mais étendu du
bassin de l’Orb à la Catalogne, un groupe du néolithique final
apparaît aux
alentours de 2600 B.C. (« B.C. behind Christ » – avant Jésus Christ), cette culture durera assez longtemps et couvrira toute la période chalcolithique (jusqu’à –
1700 B.C. – le site
de Roquemaure est donc contemporain de l’extinction du groupe ).
Qualifié successivement «Pasteurs de l’Aude», «Inconnus des
Corbières», «Inconnus de l’Aude», «Groupe de l’Aude Roussillon»,
sa dénomination actuelle et semble t’il définitive, estGROUPE de VERAZA ou VERAZIEN (site éponymevillage de VERAZA dans l’Aude près de QUILLAN).
L’outillage lithique , en majorité sur éclats, comprend entre
autre desflèches
tranchantes et foliacées, et des poignards qui sont parfois sur
silex en plaquettes. La céramique comporte des formes héritées
du CHASSEEN, ainsi que d’autres, comme les grandes jarres à
cordons lisses superposés, que connaissent bon nombre de
civilisations chalcolithiques méridionales.
Les éléments caractéristiques des céramiques du Vérazien sont
constitués par les mamelons superposés et par de fines
cannelures peu prononcées.
Contrairement à ce quise passesur
les Grands Causses ou dans l’ Ouest, les sépultures étaient
moins connues que les habitats (avec la découverte de
Roquemaure, pour la première fois,on pouvait attribuer avec certitude ce mode d’inhumation
aux Véraziens). Toutefois la position chronologique de ce groupe
et sonhégémonie
dans la région considérée permettent de penser qu’il est
responsable de la plupart des tombes mégalithiques qui s’y
trouvent(d’après
Clottes J. , Guilaine J., Rigaud L.). .
A cette époque toute une
mosaïque de cultures se partageaient le territoire.
Le
Vérazien était contemporain des autres civilisations :
Campaniformes – Seine Oise Marne – Artenacienne -
Vienne Charente – Saône Rhône -
Crosien – Rodézien – Groupe des Treilles -
Fontbouisse – Ferrières – Gourgasien.
Calvet J.P. – 1982 –
La grotte sépulcrale de Roquemaure (Montagne Noire) – SPELUNCA,
bull. de la Féd. Française de Spéléologie,
n°7, p. 7.
Calvet J. P. - 1984
-Intervention à la Société Préhistorique de France le 28
mars 1984 – Institut d’Art et d’Archéologie à Paris – bulletin
S.P.F - réunion
mensuelle de la SPF.
Calvet
J.P. and
C°- 1984 -
Spéléos-archéos – « La fin d’une superbe indifférence ». SPELUNCA, bull. de la
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Calvet J.P. – 2005 –La grotte de Roquemaure. Bulletin de la Société d’Histoire de
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Gallia Préhistoire, t. 28 , fasc. 2,
pp. 369-371, fig. .37.
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12 pages.
Clottes J. Giraud J.P. – 1988 -Présentation de la grotte Vérazienne de Roquemaure
(Tarn). Peuplement et vie quotidienne depuis 100 000 ans - 10 ans d’archéologie tarnaise– Hors série n°1
d’Archéologie Tarnaise. Comité d’Archéologie du Tarn, C.D.D.P,
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Duday H. – 1983 – La
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du Service Régional de l’Archéologie de Midi Pyrénées.,
12 pages. DRAP inédit.
Labo de Gif sur
Yvette – 1984 –
inédit – Résultats préliminaires de l’analyse anthracologique
des charbons de la grotte de Roquemaure (Saint Amancet – Tarn) –
5 pages.